Le Canal du Nivernais

Un peu d'histoire

L'idée d'un Canal de jonction entre Loire et Seine, par l'Yonne remonte au règne d'Henri IV. La communication devait primitivement se faire "par l'étang il 'Aron" comme point de partage entre la rivière de Nièvre du côté de la Loire et la rivière du Beuvron qui se jette dans l'Yonne du côté de la Seine. Mais l'affaire ne resta qu'à l'état d'un projet qui, de temps à autre ressurgissait. Ce furent les problèmes d'approvisionnement de Paris en bois de chauffage qui le firent se concrétiser.
En cette fin de 18ème siècle, le flottage des bois du Morvan, bien qu'ayant pris une ampleur considérable ne suffisait pas à satisfaire les besoins croissants de la capitale ; l'hiver catastrophique 1782-1783 aggravant considérablement la situation, le gouvernement ne va reculer devant aucun effort financier pour y faire face.
On décide en particulier d'adjoindre aux bois des forêts Morvandelles, sur le versant de la Seine. ceux du Bazois sur le versant Loire. Et pour que ceux-ci puissent rejoindre le système de flottage existant il fut décidé de rendre l'Aron navigable de Cerce la Tour, d'aménager en forme de Canal, avec écluses, le ruisseau de Baye, de son confluent avec l'Aron, à Mingot, jusqu'à la ligne de partage des eaux par Saint Maurice, Bazolles, afin d'éviter l'îlot porphyrique de la Collancelle et d'établir une rigole de flottage, en partie souterraine permettant d'amener les bois à bûches perdues de l'étang de Baye à l'Yonne, près de la Chaise, afin de les incorporer au réseau existant.
Dès 1784, les travaux de ce qui deviendra le Canal du nivernais commencèrent. Il ne s'agissait aucunement d'une liaison Loire-Seine, mais d'un simple dispositif de flottage permettant d'amener les bois du versant Loire vers le versant Seine.

Les travaux; malgré les difficultés de toutes sortes vont bon train et; début mai 1786, MM. Bossuet et Condorcet, Commissaires de l'Académie des Sciences vont pouvoir faire une tournée d'inspection et rédiger un rapport qui changera radicalement la destination de l'ouvrage en cours.
Ils conclurent en effet qu'il y a intérêt à ne pas se contenter d'un canal de flottage mais de faire un canal de navigation qui peut se continuer jusqu'à Cravant, lieu où l'Yonne est navigable.
Malgré nombre d'objections et de contestations, ce rapport sera adopté et ce sont maintenant des travaux d'une ampleur bien plus considérable qui vont être entrepris.
En particulier; le petit souterrain destiné simplement à l'écoulement des bûches va faire place aux célèbres voûtes de la Collancelle.
Désormais, la gestion en régie, dans laquelle des fautes notoires avaient été révélées, va être remplacée par des adjudications aux entrepreneurs.
Que de rêves, au sujet de la rentabilité future du Canal : les charbons du Charollais, les épices du Levant et du Midi, les soieries de Provence, les armes du Forez, les cuirs de Châlon-sur-Saône, les verreries du Mâconnais, les fromages de Suisse, les laines, .... et Louis XVI, n'hésite pas à avancer 150 000 livres au nouveau département de la Nièvre pour travaux faits et à faire. Nous sommes en avril l791. Ironie du sort: les travaux se sont arrêtés fin mars et ne reprendront pas avant l'Empire. De 1792 à 1807; le chantier est abandonné : ce qui n'empêche pas la polémique de continuer. Partisans de canal de flottage et de navigation s'affrontent en querelles alors bien inutiles.

En 1807, même le Ministère des Finances voulait vendre les terrains que l'État avait achetés pour la construction du Canal. Auparavant; un rapport sur la réelle utilité de celui-ci est demandé à l'ingénieur en chef Hageau.
Contrairement sans doute à ce qu'on attendait de lui, celui-ci se montre un fervent défenseur de l'ouvrage mais en tant que canal de flottage, et tout à fait dans l'esprit de 1784.
Il se fait l'ardent défenseur de l'abandon de la vente des terrains et de la reprise des travaux, arguant sur "l'augmentation effrayante et progressive du bois de chauffage à Paris". Il sera suivi; et dès 1809 le chantier reprend vie. Reprise bien éphémère, puisqu'il sera de nouveau abandonné en 1812 pour une dizaine d'années!...
En 1822; ce ne sera ni la navigation, ni l'approvisionnement de Paris qui le feront renaître, mais la nécessité d'ouvrir et de reprendre de grands chantiers pour résorber le chômage. Le 14 Août, Louis XVIlI affectera la somme énorme de 8 millions de francs au Canal du Nivernais. Mais dans quel état étaient les talus et les écluses, écluses qui ne correspondaient plus; d'ailleurs, aux nouvelles normes imposées !

En 1824, on décide l'extension du Canal jusqu'à Auxerre. Mais n'est-il pas prévu qu'à de nombreux endroits celui-ci emprunte le lit même de l'Yonne, convenablement aménagé. Comment alors y faire cohabiter bateaux et trains de bois ?
Certains ne considèrent-ils déjà pas le flottage comme archaïque, et ne se dirige-t-on pas vers la disparition d'une industrie qui, trois siècles durant a alimenté Paris ? D'autre part, le commerce du bois ne commence-t-il pas à souffrir de la concurrence de la houille ?
La polémique reprend. Les intéressés au flottage s'insurgent. Toute la vie économique d'une région est en jeu ... En vain, les travaux continuent, et le 22 avril 1834 un premier bateau venant de Coulanges-sur-Yonne arrive à Clamecy, pour en repartir le lendemain, chargé de pierres de Chevroches et de tous les notables de la Région.
En 1838, la portion "la Chaise-Port Brûlé" est livré à la circulation.
En 1839, c'est au tour de la section Anizy-Châtillon.
En 1841, les travaux de percement des tunnels sont achevés ; l'inauguration officielle aura lieu le 1er mars. Quant à l'ouverture réelle au trafic, elle n'aura lieu que le 15 du même mois.
Cependant, l'alimentation du point du partage des eaux reste déficiente et il faudra attendre encore deux ans, en 1843, pour que l'aqueduc de Montreuillon et la rigole d'Yonne soient achevés. A cette date seulement, le Canal pourra être considéré comme terminé et les travaux ultérieurs concerneront seulement l'amélioration de l'ensemble.
Il est indéniable que le Canal du Nivernais a donné des débouchés aux carrières de la Manse ou de Chevroches, aux gravières de Corbigny, aux Houillières de la Machine, aux céréales nivernaises, mais il restera avant tout le canal du bois.
La circulation de ces énormes radeaux que sont les trains de bois étant entravée par la canalisation de l'Yonne, les péniches prirent la relève, pour peu de temps, l'ère du bois "chauffage au bois", était bien finie. Et simultanément celle des petits canaux.
La Société des Produits Chimiques de Clamecy, l'une des plus importantes usines de carbonisation du bois va encore utiliser le canal durant quelques décennies.
Va-t-il donc mourir lui aussi, après avoir donné un coup d'arrêt fatal au flottage des bois pour l'approvisionnement de Paris, trahissant ainsi sa vocation première ?
Heureusement, les années 70 vont lui ouvrir un nouveau destin. Frappés par la hardiesse des ouvrages d'art, la qualité des paysages traversés, l'originalité de la conception, les touristes voient en lui le point de départ pour un voyage au-delà de la civilisation. C'est la part du rêve que nous apporte aujourd'hui le Canal du Nivernais, qui est sans conteste - et ce sont les étrangers qui le disent - l'un des plus beaux de toute l'Europe.